top of page
  • Facebook

TÊTES D'OS & CRÂNES RASES le mouvement skinhead



ree

Lors de la première parution de cet article en septembre 2018, se tenait à Paris le procès d'un groupe de skinheads accusés d'avoir causé la mort d'un jeune militant antifasciste dans une altercation. L'affaire Clément Méric, du nom de la victime, était directement liée au mouvement skinhead et à sa dérive néonazie, bien loin de ses origines multiethniques.

Aujourd'hui, dans de nombreux pays d'Europe, les partis conservateurs, nationalistes et populistes de la droite radicale occupent une place de plus en plus prépondérante sur l'échiquier politique. Leurs idéologies xénophobe et eurosceptique, normalisées et légitimées par la propagande, s'affichent sans complexe au sein des opinions publiques. Les skinheads néonazis des années 80 ont été relégués dans les placards de l'extrême-droite ou se sont recyclés dans le hooliganisme crasse. Mais le mouvement skinhead a survécu en retrouvant ses racines et ses valeurs d'origine.


HARD STYLE

Les mods* (diminutif de Modernists) étaient, au début des 60's, ces jeunes frimeurs des banlieues anglaises, fans de soul music (les labels Tamla et Stax), de rythm'n'blues et de british beat*. La mode était aux costumes cintrés, aux chaussures italiennes et aux scooters Vespa ou Lambretta. A la fin des années 60, les mods virent flower power, patt' d'eph' et patchouli, emportés par la vague psychédélique du swingin'London. Pourtant, certains mods vont refuser le trip hippie pour devenir ce que les médias d'alors nommeront les hard mods ; cheveux rasés, rouflaquettes de mauvais garçons et looks de dandys prolos. Durant l'été 67, ces hard mods se mêlent aux rude boys* jamaïcains, amateurs de rocksteady*, comme eux issus des quartiers pauvres et du ghetto noir de Brixton, pour donner naissance aux skinheads. Leur style sera donc celui de leur milieu social, empruntant à la frime modernist et au look ouvrier, jeans 501, polos Fred Perry , blousons Harrington à revers écossais, chaussures de sécurité. La Dr Martens viendra après, comme le bomber jackets.

Le mouvement skinhead s'essouffle au début des années 70, miné par une réputation de violence urbaine et surtout par l'émergence d'un reggae africaniste influencé par le rastafarisme, qui éloigne les skinheads blancs des musiques noires caribéennes. Certains se tourneront alors vers le glamrock et des groupes comme Slade. Le mouvement se divise en tribus ; suedeheads en manteaux Crombie ou donckey jackets, smoothies ou boot boys inspirés du film "Orange Mécanique" de Kubrick. Même si les cheveux sont plus longs et les fringues plus élégants, les valeurs resteront identiques : working class attitude, bandes de quartiers, bagarres et musiques noires malgré tout.


BONEHEADS & SHARP

Le mouvement skinhead réapparait au début des années 80, porté par la seconde vague punk (Oï ! street punk) et le revival ska du label 2 Tone Records de Jerry Damners*. Ces nouveaux skinheads sont plus politisés que les générations précédentes. Leurs groupes fétiches viennent des mêmes quartiers défavorisés, soutiennent les mêmes clubs de foot... les punks de Sham 69 d'abord, menés par leur leader Jimmy Pursey, slogans socialos et choeurs de supporters (voir les titres "Hurry up Harry" ou "If the kids are United"), et les autres...Cockney Rejects, Angelic upstarts, 4-Skins ou The Opressed.

La crise économique particulièrement dure et le chômage endémique qui sévit dans l'Angleterre thatchérienne favorisent aussi la montée de l'extrême-droite. Des partis crypto-nationalistes comme le National Front ou le British Movement (néonazi) à la recherche de nouveaux militants, infiltrent les concerts punks et recrutent parmi les jeunes skinheads. Il n'en faudra pas plus pour que la presse britannique médiatise ce phénomène et associe le mouvement skinhead à un ramassis de hooligans racistes et violents. Les groupes qui suivront cette tendance ultranationaliste se retrouveront dans la scène RAC (Rock Against Communism), RIF (Rock Identitaire Français) en France ou dans le réseau Blood & Honor du tristement célèbre Ian Stuart, néonazi notoire, leader du groupe Skrewdriver. Les groupes RAC prendront pour cibles minorités ethniques, juifs, gauchistes, anarchistes, homosexuels, punks sans distinctions.


Logo du mouvement SHARP représentant un casque grec  et le texte skinheads agaisnt racial prejudice  blanc sur fond noir
Logo du SHARP

Les nombreux skinheads qui refusent cette dérive fasciste rejoignent le mouvement SHARP (Skinheads Against Racial Prejudice/Skinheads contre les Préjudices Raciaux), les Redskins (skinheads communistes, anarchistes, antiracistes et antifascistes proche du Socialist Workers Party), la scène gayskins (skinheads homosexuels) ou le RASH (Red and Anarchist Skinheads). Un autre courant fera son apparition avec le revival ska des années 80, celui des Trojan skinheads, en référence au label de musique jamaïcain Trojan Records. Les trojan skins s'affirment résolument apolitique et revendiquent le retour à la culture skinhead des origines.


En France, les skinheads identitaires, adeptes de la chasse aux immigrés, serviront à l'occasion de gros bras et de colleurs d'affiches au Front National. Serge Ayoub* tentera d'unifier les bandes de skinheads "boneheads"* parisiens (Tolbiac Toads, Légion 88, Nazi Klan...) et d'autres groupuscules d'extrême-droite (JNR, GUD, PNF)* avec pour objectif de créer un véritable mouvement national révolutionnaire.

La résistance antifasciste s'organisera autour de la scène alternative (Garçons Bouchers, Bérurier Noir, Mano Negra, Lucrate Milk...) et des groupes de chasseurs de skinheads comme les Red Warriors (tendance redskins), Ducky Boys (rockabilly /punkabilly), Ruddy Fox, Black Dragons ou Cobra Powers (proche de la scène hip-hop).

Au début des années 90, les skinheads néonazis disparaissent des rues de Paris et des grandes villes. Gildas Lescop, sociologue et auteur en 2014 d'une thèse sur le phénomène skinhead explique que ces skinheads se sont dispersés "dans plusieurs groupuscules et ont pour la plupart abandonné leur dégaine trop agressive et peu rassembleuse" ou on investi les stades et les rangs des supporters de foot (skinheads casuals* du Kop de Boulogne). Pour autant, le mouvement skinhead n'a pas disparu. Les skinheads apolitiques se sont réappropriés le style et la culture des début du mouvement, né du métissage entre les mods et les rude boys, fils de prolétaires blancs et d'immigrés jamaïcains. Le SHARP fédère encore aujourd'hui les skinheads antiracistes et antifascistes.


Discographie sélective




Symarip, groupe britannique de rocksteady et reggae des années 60. Auteurs des plus grands hits skinheads de l'époque "Skinhead girls", "Skinhead moonstomp" et d'une cover de Nancy Sinatra "These boots are made for walking".

Voir absolument le génial album "Skinhead Moonstomp" (Trojan records 1969).


Rico Rodriguès and the Rudies, tromboniste jamaicain qui fut l'une des idoles des skinheads. Ecouter en priorité son album "Man from Wareika" de 1976 réédité sous le titre "Roots to the bone" en 1995. Reggae classe et jazzy garanti.


Dans un autre registre, voir les groupes de street punk Sham 69 (album "Tell us the truth" 1978) et Cock Sparrer, groupe SHARP et leur album éponyme "Cock Sparrer" (1978).

Voir aussi les italiens de Banda Bassoti, groupe skapunk italien proche de la scène redskin et leur album "Figli della stessa rabbia" (1992) et les skinheads américains de The Aggrolites (album "Dirty reggae" 2003).


Et pour les plus curieux, voir aussi les groupes SHARP The Oppressed (Pays de galles), Bad Manners (ska), Nabat (skinheads street punk anarchistes italiens) ou les redskins indépendantistes catalans d'Opcio K95.


Les skinheads au cinéma




De nombreux films ont été réalisés sur le mouvement skinhead et sa frange la plus radicalisée. On citera notamment :

Made in Britain (1982) de Alan Clarke, sur la dérive fascisante d'un jeune skinhead anglais de 16 ans.

This is England (2007) de Shane Meadows sur le même thème récompensé du British Independent Film Awards et prix du jury du festival du film international de Rome en 2006.

Voir aussi l'excellent documentaire de Daniel Schweizer sur la contreculture skinhead "Skinhead Attitude" (2003) et celui de Marc-Aurèle Vecchione "Antifa, Chasseurs de Skins" (2009) sur les groupes antifascistes parisiens.


Liens :

Made in Britain (complet en anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=N2vuZXiW68Q

This is England (complet en anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=d_9QPrpbbHw

Skinhead Attitude (trailer) : https://www.youtube.com/watch?v=Bg3YL9w-4FI

Antifa, Chasseurs de skins (complet en français) : https://www.youtube.com/watch?v=Fjw9ct1xjzg


Bibliographie


Nick Knight : Skinhead (éditions Camion Blanc, 2012)

Gildas Lescop : Les skinheads, du phénomène de mode au phénomène social (thèse de doctorat 2014).


Notes


*Les mods : voir articles RATpress https://www.ratpress.net/post/modern-world

*British beat/Merseybeat : genre muscial rock-pop regroupant des groupes aussi divers que The Beatles, The Kinks, The Rolling Stones, etc.

*Rocksteady : sous-genre du ska et du reggae apparu dans les 60's en Jamaïque.

*Jerry Damners : claviériste et fondateur du groupe ska The Specials.

*Serge Ayoub : militant d'extrême-droite français, skinheads, leader des JNR puis du mouvement Troisième Voie.

*Boneheads : Skinheads néonazis aux crânes complètement rasés (signifie tête d'os en anglais).

*JNR : Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires.

*GUD : Groupe Union Défense. Organisation étudiante ultranationaliste.

*PNF : Parti Nationaliste Français depuis 2019 Les Nationalistes, groupuscule d'extrême-droite.

*Casuals : nom donné aux skinheads d'extrême-droite qui ont abandonné le look et se sont mêlés aux clubs de supporters de foot et autres hooligans (comme le Kop de Boulogne du club Paris Saint Germain)


Dr. Mortmagus 2018/2025




Commentaires


bottom of page