Hip-Hop, Rap & tag
- Dr Mortmagus
- 27 juin
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 juin

" Tu n'aimes pas le rap parce que c'est pas ta génération ". Dixit un jeune amateur de rap en 2021. Sauf que la musique de "sa génération" était née 47 ans plus tôt dans le Bronx quand les fondateurs du hip-hop organisaient les premières bloc parties*. En 1973, inspirés par la culture jamaïcaine et les musiques noires, les premiers Dj's Kool Herc, Eddie Cheeba, Grandmaster Flash ou Afrika Bambaataa bricolaient les bases d'une nouvelle culture urbaine directement sortie des ghettos de New-York. Grandmaster Flash dans la chanson "The Message" décrit parfaitement l'ambiance de décomposition urbaine et sociale (urban decay) qui règne dans le Bronx et le Lower East Side des années 70. Abandonnés par les institutions locales, ces deux quartiers, habités par les communautés noires et latinos, sont à cette époque des zones à la dérive gangrenées par l'insalubrité, le chômage et une criminalité endémique ; une "no go zone"* livrée aux dealers, aux gangs*, à la prostitution et aux tensions raciales.
"it's like a jungle sometimes, it makes me wonder"
how i keep from going under (bis)
Broken glass everywhere, people pissing on the stairs, you know they just don't care. I can't take the smell, can't take the noise.
Got no money to move out, I guess, I got no choice.
Rats in the front room, roaches in the back, junkies in the alley with a baseball bat. I tried to get away, but I couldn't get far 'cause the man with the tow-truck repossessed my car.
Don't push me 'cause I'm close to the edge. I'm trying not to lose my head ... It's like a jungle sometimes it makes me wonder how I keep from going under.
(Grandmaster Flash and the Furious Five - The Message)*
Afrika Bambaataa, membre des Black Spades*, est le premier à vouloir mettre un terme à la violence dans les quartiers du Bronx par l'intermédiaire du hip-hop. Avec sa Universal Zulu Nation, il transforme les gangs en crew* et les rixes en tournois de breakdance, de grafs et de flow*. Rythmes, bombes de peinture et poésie scandée remplacent armes et règlements de comptes. Toute l'authenticité et la légitimité du hip-hop sont là, dans ses origines sociales, sa spontanéité populaire, sa volonté d'exprimer les frustrations et les espoirs des jeunes des ghettos.
LE DISCO DU GHETTO*
"Hip-hop because it's something that's hip and it makes you hop the groove to the beat" (Afrika Bambaataa)*. Le groove justement, celui du hip-hop et du rap, vient de la Jamaïque et des ghettos de Kingston, des sound systems* et du toasting, une technique consistant à parler en rythme sur des instrumentaux de reggae. Ses racines sont aussi dans le scat du jazz vocal de la Nouvelle-Orleans, le spoken word des poètes de la Beat Generation et des Last Poets, militants noirs déclamant leur poèmes à coups de percussions. Il y a les musiques black, la soul, le funk et le disco, dont les instrumentaux servent de samples* aux premiers titres et improvisations du rap et du slam. Enfin, l'arrivée des boîtes à rythmes à des prix abordables, comme la cultissime TR-808 mise sur le marché par la société Roland dans les années 80, va permettre l'explosion du mouvement hip-hop aux USA.
Le premier hit rap est un titre du Sugarhill Gang "Rapper's delight" en 1979 suivi en 1982 de "The Message" des Furious Five de Grandmaster Flash. Dès 1984, le hip-hop New School prend la relève du style Old School. Il s'en démarque par des rythmes plus complexes, des textes plus politisés souvent vulgaires et agressifs, une attitude gangsta qui ira jusqu'à cette guerre absurde entre tenants du style West Coast californien et East Coast new-yorkais et les assassinats des rappers Tupac en 1996 et Notorious Big en 1997. Cette nouvelle génération du hip-hop est emmenée par les groupes Run DMC et Public Enemy, groupes emblématiques du hip-hop hardcore, de N.W.A (Niggaz Wit Attitude) pour le courant gangsta, LL Cool J, icône du pop-rap ou encore le rap-punk des Beastie Boys.
A partir des années 90, le hip-hop sort de son ghetto. Les artistes expérimentent de nouveaux rythmes et sons (Boom Bap, Miami Bass, New Jack Swing, Trap, Cloud rap) ; fusionnent les genres : hip-hop alternatif, (de la Soul, Jungle Brothers), hip-hop industriel (Ei-P, Death Grips) , hip-hop psychédélique ou Abstract hip-hop (The Pharcyde ou les Bretons d'Abstrackt Keal Agram) ; explorent les métissages avec l'Afrique ou l'Asie (Igbo rap du Nigeria, Zef sud-africain des Die Antwood, Desi hip-hop d'Inde) ; revendiquent d'autres univers : hip-hop queer, hip-hop underground (Aesope, Sage Francis), horrorcore, porncore ... .
"The punk rockers are the first of the whites who started grabbing hold to the hip-hop"* racontera lors d'une interview Afrika Bambaataa. The Clash est le premier punk band à lancer dans les charts un titre rap blanc "The Magnificent Seven" extrait de leur album Sandinista de 1980. Suivront en 1982 "Wot" du bassiste des Damned Captain Sensible et "Buffalo Gals" de l'ancien manager des Sex Pistols Malcolm MacLaren puis le "World Destruction" d'Afrika Bambaataa et John Lydon (Ex-Sex Pistols et Public Image Limited) en 1984.
"This is the world destruction, your life ain't nothing
The human race is becoming a disgrace
Nationalities are fighting with each other
Why is this ? Because the system tells you
Putting people in racist categories".
(Afrika Bambaataa & John Lydon - World destruction)
HIP-HOP CULTURE

Comme toute contreculture, le mouvement hip-hop a créé via la musique, le graphisme, la mode et la danse ses propres designs identitaires associés à des formes de ritualisation spécifiques autour des Mc's (masters of ceremony), des Dj's et des battles de rap, de breakdance et de beatboxing.
Le RAP est l'un des marqueurs culturels du hip-hop et son expression musicale. Il utilise principalement une technique inventée par Kool Herc, le breakbeat, boucle sonore réduite à la section rythmique basse/percussion ; un style de chant slamé et déclamé parfois associé au scratching (le fait de varier la vitesse d'un vinyl sur une platine) dont l'invention est attribuée au Dj Grand Wizzard Theodose et au beatboxing (imitation du rythme avec les lèvres).
Le GRAFFITI, autre identifiant majeur du hip-hop, est une inscription peinte ou bombée sur un mur dans un espace public, souvent de manière illégale. Le graffiti va du simple tag (la marque, le signe, le pseudonyme, le blaze d'un graffeur ou d'un crew) au block-letters ou flop (succession de lettres calligraphiées peinte d'une seule traite) jusqu'à la fresque élaborée du street art. Voir les oeuvres de Futura 2000, du new-yorkais Doze Green, ancien graffeur du Rock Steady Crew ou Phase 2, considéré à juste titre comme l'un des pionniers du hip-hop.
Le BREAKDANCE appelé aussi Bboying du nom des Bboys (ou Bgirls) donné aux premiers breakdancers, est un style de danse acrobatique avec des figures au sol. Le breakdance apparait dès les années 70 aux USA lors des bloc parties organisées par Kool Herc. Il faudra attendre 1982/84 et l'émission télé H.I.P H.O.P animée par le rappeur Sydney pour voir les premiers Bboys français, les Paris City Breakers danser du smurf en France.
Les Bboys and Bgirls aiment la fashion, les fringues et les marques (Adidas, Puma, Clark, Nike, Reebok), surtout celles de luxe (Louis Vuitton, Gucci, Rolex), le sportwear inspiré des joueurs de basketball ou de baseball (les baggy pants, les casquettes, les tee-shirts de la NBA, les survêtements) et des gangs américains (le bandana de Snoop Dog, les plaid shirts) sans oublier l'incontournable hoodie à capuche, protection indispensable pour ne pas être reconnu par les patrouilles de police et contre les projections de peintures pour les graffeurs. Les tenues sont accessoirisées à l'extrême : lunettes de soleil, bobs ou bucket hats, bijoux bling bling et chaînes en or ou platine, symboles de prestige, de réussite et référence au mythe du guerrier et à l'africanisme. La mode est étroitement intégrée à la culture hip-hop et de nombreux artistes lancent leurs propres lignes de vêtements comme Wu-Wear (du groupe Wu Tang Clan), Outkast Clothing (The Outkast), Ûnkut (du rappeur français Booba). Les artistes hip-hop sont aujourd'hui devenus des marques et les produits d'un business lucratifs.
DEAD END
Toute contreculture est, après une phase initiale de contestation, inévitablement récupérée par la culture dominante. Pour éviter d'être banalisée et absorbée, elle n'a d'autre choix que d'évoluer ou se radicaliser autour de ses valeurs de base jusqu'à la caricature. C'est notamment le cas du hip-hop français influencé principalement par le rap gangsta ou hardcore, le trapstyle* et la scène egotrip*. Ce courant banlieusard mixte tous les ingrédients d'une culture ghettoïsée, entretenue par les rappeurs eux-mêmes : image de voyou, complaisance dans la victimisation sociale, moralisme rétrograde, islamisme mal digéré, homophobie et machisme revendiqués. Les thèmes récurrents des chansons s'inspirent de la vie dans les quartiers, de succès personnel, des deals et de la consommation de stupéfiants, des déboires avec la justice et la prison, vécus comme des rites initiatiques apportant virilité et respectabilité, de sexe et de pornographie. Les femmes sont souvent réduites à des pourvoyeuses de services sexuels :
"J'pénètre le rap easy/comme dire bonjour à une chatte/avec les beuj's écartées, c'est plus motivant" (extraits de Ladif du groupe N.O.S) ou "Ecoute ta mère la pute/j'la baiserai quand elle te dira au lit" ( Wesh la Galère du groupe PNL). Les vidéos de promotion sont tournées sans aucune volonté esthétique, dans les cages d'escaliers ou une cours d'immeuble, les chants retravaillés à l'auto-tune*. Le hip-hop, à l'origine contreculture émancipatrice et contestataire, est devenue pour une partie du public et des acteurs de cette scène, une sous-culture de banlieusards, discriminante et dévalorisante ; une trash culture de lupenprolétariat qui ne mène plus qu'à l'impasse sociale.
LA CHARTE ZULU

Extraits de la charte et du code de l’Universal Zulu Nation fondés en 1973 par Afrika Bambaataa, dans le but de promouvoir la culture hip-hop dans le monde.
La Zulu Nation n’est pas un gang, c’est une organisation d’individus à la recherche de succès, de paix, de sagesse, de connaissance, de compréhension et de bon comportement dans la vie.
Les Zulus doivent chercher des moyens positifs pour survivre dans la société.
Les actions négatives sont des actions qui appartiennent aux mauvais. Le comportement animal est négatif. Les Zulus doivent être civilisés.
Les Zulus doivent continuellement apprendre les leçons infinies.
Les Zulus ne peuvent pas être membres d’organisation dont les fondements sont basés sur des actions négatives.
Les Zulus doivent être en paix avec eux-mêmes et les autres.
Nous croyons à la Connaissance, la Sagesse, la Compréhension, la Paix, l’Unité, l’Amour, le Travail, l’Amusement, l’Éducation, la Liberté, la Justice, l’Égalité, le Respect, les Sciences, la Vie, les Faits, la Vérité.
NOTES
*Bloc party ou fête de quartier, à l’origine du mouvement hip-hop.
*No Go Zone, littéralement une « zone où il ne faut pas aller », une zone dangereuse.
*Pour avoir une idée de l’importance des gangs à New-York dans les années 70, voir Le film « Les Guerriers de la Nuit » (The Warriors, 1979), du réalisateur et scénariste Walter Hill.
*Les Black Spades, gang new-yorkais fondé dans les 60’s et toujours actif aujourd’hui dans plusieurs Etats américains.
*un crew, une équipe.
*flow, le flux, le débit, la scansion, manière de déclamer un texte en rythme.
*Disco du ghetto, nom donné au hip-hop et au rap par Kurtis Blow, premier rappeur à signer dans une grande compagnie de disques.
*Afrika Bambaataa expliquait ainsi l’origine du nom hip-hop : hip-hop parce que c’est quelque chose qui est branché et qui vous fait danser le groove en rythme.
*les sound systems en Jamaïque étaient des fêtes de rue animées par des dj’s et des sonos installées sur des camions.
*sample, extrait de musique récupéré avec un échantillonneur pour servir de boucle sonore à un titre de rap.
*« Les punk rockers sont les premiers blancs à s’être emparés du hip-hop » (Afrika Bambaataa).
*trapstyle, du mot « trap », lieux où s’effectuent les trafics de drogue. Le trap aborde la vie dans les quartiers, la drogue, la renommée d’un rappeur.
*le rap dit egotrip c’est le rap bling bling, provocateur, centré sur la personnalité de l’artiste et sa renommée.
*auto-tune, système informatique de correction de voix.
*Lupenprolétariat, selon la théorie marxiste, sous-prolétariat marginalisé.
BIBLIOGRAPHIE
L’Effroyable Imposture du Rap, de Mathias Cardet (éditions Kontre-Kulture 2013). Un pamphlet à charge contre le rap par un ancien fan de rap.
Can’t Stop, Won’t Stop, de Jeff Chang (éditions Allia, 2005). Histoire sociale du mouvement hip-hop par un journaliste spécialisé dans le rap. Traduction de l’américain.
DISCOGRAPHIE (sélection RATpress)
De La Soul : 3 feet Hight and Rising (1989).
Digital Underground : Sex Packets (1990).
Rage Against the Machines : Rage Against the Machines (1992).
Cypress Hill : Black Sunday (1993).
Judgement Night : Bande originale du film Judgement Hill (11 duos de groupes rock et rap, dont Sonic Youth/Cypress Hill, Living Colour/Run DMC…) sortie en 1993.
The Disposable Heroes of Hiphoprisy : Spare Ass Annie and other Tales (1993). Album de rap et spoken word en collaboration avec l’écrivain Beat William S. Burroughs.
The Avalanches : Since I left you (2000).
Afrika Bambaataa : Dark Matter Moving at the Speed Light (2004).
Krismenn : N’om Gustumin deus an Denvalijenn (2017). Rap breton en breton, poétique et sombre.
MOVIES

Style Wars de Tony Silvers (1983), docu indispensable sur les débuts du hip-hop, Grand Prix du documentaire au festival du film de Sundance
Wild Style de Charlie Aheam (1983), considéré comme le film fondateur du mouvement hip-hop avec entre autre Fab Five Freddie, le Rock Steady Crew, Grandmaster Flash, l'Universal Zulu Nation.
Dr. Mortmagus (décembre 2021/Juin 2025)
Commentaires