Bon voyage Monsieur Ellison

Harlan Ellison est mort le 28 juin 2018 à l'âge de 84 ans ou plutôt il est parti de l'autre côté de la réalité, dans un autre univers qu'il a sans doute imaginé lui-même.

Avant de devenir l'un des plus grands romanciers et nouvellistes des USA et peut être de toute cette fichue planète, Harlan Ellison a fait tous les métiers jusqu'aux plus improbables : docker, cuisinier, chauffeur de camion d'explosifs, ouvrier agricole, vendeur, garde du corps et j'en passe. Avec Philip K. Dick et Thomas Pynchon, il était l'une des figures emblématiques de la nouvelle littérature américaine, à mi-chemin entre science-fiction, réalisme fantastique, romans beatniks et élucubrations psychédéliques.

Harlan Ellison n'était pas très grand mais il n'avait peur de rien ni de personne. Il écrivait parfois sous le pseudonyme de Cordwainer Bird qu'il mit en scène dans l'une de ses nouvelles. Bird était un justicier issu d'une longue lignée de super-héros de comics des années 40, à l'instar du Shadow ou de Doc Savage. Et les ennemis d'Ellison/Bird étaient la mauvaise littérature, la télévision, les médias de masse et l'abrutissement collectif qu'ils induisaient. Harlan Ellison se coltinait à son écriture, s'y impliquait avec rage jusqu'à intégrer un gang pour écrire sur les jeunes délinquants de New-York (Les Barons de Brooklyn) ou taper ses textes à la machine à écrire dans la rue ou derrière une vitrine de librairie (De A à Z dans l'Alphabet Chocolat).

A la fin des années 60, il révolutionne la science-fiction en réunissant dans une anthologie aujourd'hui cultissime les grands auteurs de S.F de l'époque, avec pour mission d'ouvrir les portes, d'aller plus loin, de pulvériser les limites du genre. Les plus grands noms collaborent à ces Dangereuses Visions parmi lesquels Philip K. Dick, Fritz Lieber ou Philip Jose Farmer signant un texte digne d'un Rabelais futuriste sous LSD (Les cavaliers du Fiel ou le Grand Gavage).

Harlan Ellison a écrit plus de 1400 articles et scénarios dont un épisode de la série Star Trek et une cinquantaine de bouquins aux titres plus hallucinés les uns les autres : "Repens-toi Arlequin, dit Monsieur Tic-Toc, Je n'ai Pas de Bouche et il faut que je cris (1968), la Bête qui criait amour au Coeur du Monde (1969)". La plupart de ses nouvelles ont été réunies en recueils comme "Gentleman Junkie", "Hitler Peignait des Roses" ou "La Chanson du Zombie".

Non décidemment, Harlan Ellison n'est pas mort. Les héros ne meurent jamais et nous avons encore besoin de Cordwainer Bird pour nous sauver des mauvais écrivains, des médias abrutissants et de la bétise généralisée. Merci pour vos colères et vos dangereuses visions Monsieur Ellison.

NOTES

Harlan Ellison fut un temps édité en France aux Humanoïdes Associés et les deux tomes des Dangereuses Visions étaient disponibles aux éditions J'ai Lu. Cherchez dans le web et lisez Harlan Ellison.

Dr. Mortmagus - juin 2018