Wikileaks
- Dr Mortmagus
- 17 août 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 nov. 2024

Julian Assange a été libéré le 26 juin dernier de sa prison de haute-sécurité de Belmarsch en Angleterre, après 14 années de péripéties judiciaires et politiques dignes d'un thriller d'espionnage hollywoodien. Il est retourné en Australie, son pays d'origine.
Collateral Murder
Le 5 avril 2010, le site internet Wikileaks publie une vidéo de l'armée américaine intitulée "collateral murder" (meurtre collatéral)*. Ces images, filmées par la caméra embarquée d'un hélicoptère Apache, montrent des civils irakiens fuyant sous les tirs de l'appareil, lors d'un raid aérien américain sur Bagdad le 12 juillet 2007. Dix neuf personnes sont abattues sans sommation, dont deux journalistes de l'agence de presse Reuters. Entre 2010 et 2011, Wikileaks met en ligne plus de 700 000 documents classifiés, notes confidentielles et câbles diplomatiques liés aux opérations militaires américaines en Irak et Afghanistan, dénonçant des crimes de guerre et des cas de tortures perpétrés par des militaires et des agents de la CIA à l'encontre de prisonniers dans les centres de détention d'Abou Ghraib (Irak) et de Guantanamo Bay (Cuba).
En mai 2010, Chelsea Manning*, une analyste militaire du renseignement américain est arrêtée en Irak. Elle est accusée d'avoir fait fuiter des milliers de documents secret-defense, dont la vidéo du raid aérien du 12/07/2007 et d'être la source d'information du site Wikileaks de Julien Assange. Il s'ensuit alors pour Assange une rocambolesque existence de fugitif apatride qui le mène de l'ambassade d'Equateur à Londres où il passe plus de 6 années calfeutré, à la prison de haute-sécurité de Belmarsch dans la banlieue londonienne jusqu'à un obscur tribunal des îles Mariannes sous juridiction américaine. Sous le coup de 18 chefs d'inculpation dont ceux de piratage informatique, espionnage, atteinte à la sécurité nationale, il risquait une condamnation de 175 ans de prison. Le détail des péripéties politico-judiciaires de Julian Assange a déjà été amplement documenté dans les médias internationaux.

Signé Mendax
Julian Assange est un informaticien australien. Il est à la fois programmeur et développeur de logiciels. Il est aussi anarchiste et cyberactiviste grey hat*, un hacker éthique qui s'introduit dans les systèmes pour trouver des failles de sécurité. En 1991, sous le pseudonyme de Mendax, il pirate le site du géant canadien des télécom Nortel. Il se fait aussi remarqué parmi la communauté des hackers en s'attaquant aux réseaux informatiques de la NASA et du Pentagone, ce qui n'est pas rien. En 2006, il crée le site Wikileaks avec quelques amis et en est le concepteur et administrateur.
Julian Assange a enfin été lauréat du prix nouveau média d'Amnesty International en 2009, du prix de la fondation Sydney pour la paix, du prix Walkley pour le journalisme en 2011, du prix du journalisme Martha Gellhorn.
Wikileaks
Wikileaks est une ONG (organisation non-gouvernementale) conçue comme une plateforme participative destinée aux lanceurs d'alerte. Son objectif est d'être un service d'information au service des citoyens dans le monde entier. Parmi les affaires révélées par Wikileaks, les offshores Leaks (fraudes fiscales et blanchiments d'argent internationaux de 2013 à 2021), la mise sur écoute de trois présidents français* par la NSA de 2006 à 2012 ou le Minton Report (déversement de déchets toxiques en 2009 par une multinationale néerlandaise). Le site WikiLeaks a révélé ainsi en quelques mois plus d'affaires douteuses que le Washington Post en trente années.
Wikileaks philosophy
La création de Wikileaks par Julian Assange en 2006 est la mise en pratique à grande échelle des principes de l'éthique hacker théorisée par le journaliste américain Steven Levy au début des années 80. Levy et la communauté hacker revendiquaient l'accès libre et la mise à disposition sans limitation de l'information sur internet et le refus de tout ce qui pouvait restreindre ou empêcher la circulation des connaissances. Pour Julian Assange, hacker de la première heure, la dissymétrie des niveaux d'information entre citoyens et détenteurs du pouvoir (Etats, organismes financiers, multinationales) nécessitait un rééquilibrage. L'objectif de Wikileaks fut dès lors de rendre public des documents officiels censurés ou classifiés portant sur la corruption, l'espionnage et les guerres ; en résumé, de divulguer ce qui ne devait pas l'être et d'amener n'importe quel citoyen dans les coulisses économiques et politiques internationales, où bidouillages financiers, magouilles politiques et autres bavures pour raison d'Etat se déroulaient loin des regards. Wikileaks s'affirmait ainsi comme un contre-pouvoir citoyen à même de contrôler les agissements des Etats et multinationales dans les démocraties occidentales.
Lanceur d'alerte
Wikileaks est basé sur le principe des lanceurs d'alerte*. Un lanceur d'alerte est une personne qui signale des actes et comportements illégaux ou immoraux commis par un Etat, un organisme public ou une entreprise et constituant un danger pour la société, les citoyens ou l'environnement. Chaque lanceur d'alerte peut mettre en ligne sur le site Wikileaks, d'où sa référence à l'encyclopédie en ligne collaborative Wikipedia, des documents liés à des affaires de corruption, de malversation ou de crimes de guerre de manière anonyme, grâce à un système de cryptage interne. Les révélations doivent servir l'intérêt général et ne pas poursuivre de but privé ou personnel, et le lanceur d'alerte doit disposer de preuves suffisantes pour étayer ses accusations. Néanmoins, divulguer des actes illicites ou des documents confidentiels comporte des risques aux niveaux professionnel et personnel pour le lanceur d'alerte : intimidations, menaces, licenciement, poursuites judiciaires. La loi française protège partiellement les lanceurs d'alerte depuis 2016 (loi Sapin du 02/12/2016 renforcée par la loi Waserman de mars 2022). En avril 2018, la commission européenne a elle aussi adopté une directive sur la protection des lanceurs d'alerte. Néanmoins le champ d'application de ces lois exclut les informations relevant du secret médical et de la défense nationale. Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning en savent quelque chose.
Les lanceurs d'alerte sont aujourd'hui un contre-pouvoir indispensable et le dernier recours quand les garde-fous institutionnels sont défaillants ou volontairement aveugles. Dissimulés parmi nous, ils peuvent surgir à tous moments pour dévoiler les dysfonctionnements des Etats et entreprises, ce qui nécessite un réel courage et un grand sens de l'abnégation. Et nous pouvons tous être des lanceurs d'alerte !
Dr. Mortmagus (2016/août 2024)
Notes
*La vidéo "Collateral Murder" est en ligne sur le site You Tube à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=2e3NbrTriQE
*Chelsea Manning, a été condamnée pour trahison à 35 années de prison. Sa peine a été commuée au bout de 7 ans de détention par l'administration Obama. Elle a été libérée le 17 mai 2017.
*Un Grey hat (chapeau gris en français) est dans la communauté hacker, un pirate informatique qui agit parfois de manière éthique pour trouver des failles de sécurité dans un système ou parfois par intérêt personnel.
*Révélation qui n'a pas empêché le gouvernement français de rejeter la demande d'asile de Julian Assange en septembre 2023.
*Les lanceurs d'alerte ont sans doute été inspirés par les muckrakers (fouilles-merde en français), ces journalistes qui dénonçaient les cas de corruption dans la société américaine du début du 20ème siècle..
Bibliographie
*Daniel Domscheit-Berg : "Inside Wikileaks, dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde" (éditions Grasset, 2011).
*Julian Assange : Google contre Wikileaks (Ring éditions 2018).
Conversation à huis clos entre le maître de l'internet, Eric Schmidt, président de Google et Julian Assange, le hacker libertaire concepteur de Wikileaks.
Site Wikileaks (en anglais)
Site de la Maison des Lanceurs d'Alerte, association loi 1901 qui accompagne les lanceurs d'alerte dans leurs démarches avant et après l'alerte : https://mlalerte.org/
Crédit photo portrait Julian Assange : Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication (Cagibi54)
Dr. Mortmagus (août 2024)
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